02 mars 2008

L'ami étranger

A vrai dire je ne comprenais pas pourquoi il était si grave d'avoir une liaison avec une éléve. J'en parlai à ma mère qui décida alors de tout m'expliquer. Comme l'affaire de l'école lui avait fait peur, elle le fit brutalement. Outre les illusions, elle détruisit en moi ma plus belle espérance. L'envie de vite devenir adulte. Je ne voulais plus me marier et si ça devait m'arriver que ce soit alors bien tard. Je savais désormais qu'il ne fallait en aucun cas avoir trop tôt des relations avec un homme, qu'il fallait soumettre son amour à l'épreuve du temps et de l'attente, et que chaque femme n'avait le droit d'aimer qu'un seul homme auquel elle devait rester fidèle. D'effroyables maladies, des créatures couvertes de tumeurs et de purulences, une existence, qui n'espèrant plus que la mort, furent les spectres obsédants et moralisateurs qui me poursuivirent pendant des années. J'avais seize ans, la première fois que je permis à un garçon de m'embrasser. Et je me vois encore, aussitot après, courir à la maison pour me nettoyer à fond de la tête aux pieds.
Des années plus tard- j'étais déjà en médecine- je fis la connaissance, rentrant chez nous en fin de semaine, de l'ami de ma jeune soeur. Elle avait alors seize ans, et lui une quarantaine d'années. Il avait les tempes grisonnantes et, à l'annulaire, la trace plus claire laissée par l'alliance qu'il venait de retirer. J'observai mes parents sans comprendre. Ils le recevaient gentiment et simplement, comme l'ami de leur fille cadette. Lui, un homme à peine plus jeune que mes parents, ils l'avaient accepté comme si cela allait de soi. Toutes leurs peurs et leurs angoisses avaient disparu. Ils s'en étaient libérés en les projetant sur la petite fille que j'avais été. Ils s'étaient débarassés de ce souci oppressant; c'était à moi de vivre avec lui. Pendant des années, mon cerveau resta englué dans une représentation où la sexualité était liée à un gaspillage.


L'ami étranger de Christoph HEIN

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